Ce dessin fut entamé de la gauche vers la droite, en déroulant la large feuille au fur et à mesure, sans schéma préconçu, sans idée arrêtée, si ce n’est de ce laisser porter par le courant du temps, des pensées et des émotions.

Essayer de ne pas anticiper, laisser trainer ses souvenirs, accueillir les idées lorsqu’elles surgissent, se laisser gagner par le doute, s’enthousiasmer à nouveau et s’enfoncer dans la lenteur du travail, voilà ce que fut « Médusa ».

Un grand dessin mais sans dessein. Vivre et témoigner de vivre, au fil du trait. Ne pas s’entrainer (s’entraine t’on à vivre?), se réconcilier avec ses échecs, apprendre à dessiner en dessinant, tenter, saccager, recommencer.

Le dessinateur, mois après mois, voit apparaître et redisparaître son œuvre dans le rouleau, le dessin étant trop grand pour le mur de l’atelier. De la même manière l’œuvre sera exposée dans la nuit d’une pièce obscurcie, chacun muni d’une petite lampe individuelle, illuminant le dessin partiellement, jamais entièrement.

En laissant à la nuit le secret de son ensemble, « Medusa » rejoint la perception que l’on a d’un livre page après page ou d’un film scène après scène, la frustration du regard de ne pouvoir tout appréhender étant atténué par l’acuité que donne la nuit aux détails et l’ampleur des espaces qu’elle suggère. Médusa laisse au souvenir le soins de reconstituer sa réalité et sa narration, à notre entendement et notre imagination celui de recréer sa globalité, de transformer une perception inachevée en une œuvre accomplie.

Et comme la persistance rétinienne d’une lumière brutale, les méduses, fleurs vénéneuses et phosphorescentes, s’évanouissent lentement à notre conscience.

Amérigo Rogas
Texte paru dans le catalogue « Le grand Salon noir », éditions Carpentier, 2014

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